Viticulture en Languedoc et Roussillon : pourquoi les interprofessions se fissurent ?

Le CIVL et le CIVR, les interprofessions des vins du Languedoc et des vins du Roussillon, sont confrontés au départ de certains de leurs adhérents insatisfaits des stratégies de communication autour des différentes appellations. Alors que la viticulture traverse une crise importante, ces mouvements de sécession signent un éparpillement des forces au moment où la profession gagnerait probablement à jouer collectif.
Christophe Bousquet, le président du Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc (CIVL), regrette une crise interne au moment où la profession devrait jouer collectif.
Christophe Bousquet, le président du Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc (CIVL), regrette une crise interne au moment où la profession devrait jouer collectif. (Crédits : DR)

Mais que se passe-t-il au sein des interprofessions viticoles de la région Occitanie ? Alors que la viticulture traverse une crise majeure, le Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc (CIVL), interprofession des AOP et IGP du Languedoc, et le Conseil Interprofessionnel des Vins du Roussillon (CIVR), son équivalent en Roussillon, sont secoués par des vents contestataires...

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Depuis le 1er janvier 2024, les AOP Corbières et Fitou ont claqué la porte du CIVL, comme l'avait fait trois ans plus tôt l'appellation Minervois. Ce nouveau départ prive l'interprofession languedocienne de son plus gros contributeur budgétaire : avec 280.000 hectolitres revendiqués en AOP Corbières (en moyenne quinquennale), l'appellation audoise représente un quart des volumes des AOP du Languedoc.

Les AOC sécessionnistes invoquent la volonté de reprendre en main leur communication : « En quittant le CIVL, nous avons pu fortement augmenter notre budget communication, sans qu'il en coûte un centime de plus à nos producteurs. Sur la récolte 2023, ils paient une cotisation de 6,35 euros/hl au syndicat, dont 3 euros pour alimenter notre budget communication, alors que nous disposions seulement de 0,5 euros/hl lorsque nous étions engagés au CIVL », souligne Philippe Coste.

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« Intérêt à jouer collectif »

Pour les Corbières, les producteurs feront cette année une économie de 1 euro/hl par rapport à la cotisation de l'an dernier et le syndicat disposera de 2 euros/hl de plus pour la communication, soit près de 400.000 euros pour l'année 2024.

« Avec la crise que nous traversons, nous avons plus intérêt à jouer collectif qu'à nous éparpiller, déplore, Christophe Bousquet, le président du CIVL. Certes, les appellations qui nous quittent vont avoir des budgets conséquents pour communiquer mais elles n'ont pas d'équipe pour concevoir et mettre en œuvre leurs opérations de communication. Au final, je ne suis pas sûr qu'elles y gagnent. ».

Le vigneron audois a pourtant proposé aux appellations du CIVL qui souhaitaient renforcer leur budget pour leur communication propre d'augmenter leur Cotisation Volontaire Obligatoire (CVO) : « Alors que 80% des 3 euros/hl de la cotisation de base sont affectés au budget général du CIVL, 70% du supplément de cette CVO va directement au budget de chaque appellation », souligne le président du CIVL. Sept appellations ont décidé de cette augmentation, et l'ensemble de leurs budgets est désormais supérieur à celui du tronc commun de l'interprofession. Cet accroissement des recettes, conjugué à une hausse des subventions, permet également de pallier le départ de Corbières et Fitou.

« Notre budget 2024 reste inchangé à 5,6 millions d'euros », affirme Christophe Bousquet.

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« Cette stratégie gomme la spécificité de nos appellations »

Même crise interne dans le Roussillon : quatre appellations de la Côte Vermeille (Collioure, Banyuls, Banyuls Grand Cru et IGP Côte Vermeille) ont d'ores et déjà annoncé leur départ fin 2024, au terme de leur engagement triennal. Une réflexion est également en cours au sein de l'AOP Côtes du Roussillon et Côtes du Roussillon Villages pour évaluer l'opportunité d'un retrait de l'instance interprofessionnelle. Les griefs des contestataires concernent également la stratégie de communication.

« La mission d'une interprofession, c'est de mettre en avant nos signes de qualité, or l'essentiel des budgets est consacré à la mise en avant de la signature "Les Roussillon sont là", plaide Romuald Peronne, président du syndicat des Vignobles de la Côte Vermeille. Nous ne nous retrouvons pas dans cette stratégie qui gomme la spécificité de nos appellations, alors que c'est justement ce que nous souhaitons valoriser : Collioure, Banyuls. Nous souhaitons communiquer au niveau local et national, pas forcément à l'international. L'interprofession doit être au service des adhérents qui paient, pas l'inverse. C'est une institution qui a plus de 30 ans, il faut changer le logiciel et s'adapter au nouveau contexte de la viticulture régionale. »

Jean-Philippe Mari, président des Côtes du Roussillon et Côtes du Roussillon Village, estime lui aussi qu'il faudrait repenser les interprofessions : « Cette organisation, qui était valable à sa création, doit s'adapter à l'évolution de notre filière. La gouvernance de nos interprofessions doit être revue au regard du nouveau profil des opérateurs : des producteurs devenus négociants et des négociants devenus producteurs ».

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Eparpiller les budgets, c'est perdre en visibilité

Vigneronne et députée européenne (Renaissance), Irène Tolleret se désole de cet éparpillement des ressources.

« Même si je comprends les préoccupations des AOC dissidentes, je trouve dommage qu'on n'arrive pas à trouver le moyen de travailler ensemble, défend l'élue. En éparpillant les budgets de communication, on perd en visibilité et aucune appellation ne réussira à émerger. Mieux vaut se fédérer sous une même bannière, ce qui n'est pas incompatible avec, en parallèle, des communications plus ciblées sur les différentes appellations. L'urgence aujourd'hui, c'est d'adapter le profil de nos vins aux nouvelles tendances de consommation. C'est une réflexion collective qu'il faut mener à l'échelle du bassin viticole afin de coordonner les actions. »

Premier pas dans cette direction, InterOc (l'interprofession de l'IGP pays d'Oc), le CIVL et le CIVR viennent de décider la mise en commun de leur pôle R&D, qui passe dans le giron d'InterSud, la fédération qui réunit les trois interprofessions. L'annonce en a été faite par Jacques Gravegeal, président d'InterSud, lors du dernier Conseil de bassin en décembre 2023. « Nous souhaitons donner de l'ampleur à ce volet technique de l'interprofession au regard des enjeux auxquels nous sommes confrontés : l'adaptation au changement climatique, le dépérissement de la vigne, la séquestration du carbone, les cépages résistants, l'amélioration qualitative et adaptation de nos produits aux attentes du marché, etc. commente Jean-Benoît Cavalier, président de la commission technique du CIVL. Tous ces sujets sont transversaux et concernent l'ensemble de la filière régionale. C'est une mutualisation qui fait sens. »

Le renforcement et la mutualisation du pôle économique pourrait être la prochaine étape : « Il faut remettre les interprofessions au centre du jeu pour trouver des solutions à nos problèmes. Réorienter les missions interprofessionnelles en étoffant et mutualisant les pôles technique et économique pourrait être un moyen d'y parvenir », soutient Jean-Benoît Cavalier.

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