« Les différentes phases de reconversion illustrent la capacité des Alésiens à réinventer leur territoire industriel »

INTERVIEW - Ancienne région minière, le bassin d’Alès a dû régénérer son tissu industriel pour renouer avec une dynamique. Dans son ouvrage « Le Bassin industriel d’Alès, une histoire de reconversions », Caroline Granier, docteure en Sciences économiques et cheffe de projet à la Fabrique de l’industrie, apporte un éclairage sur cette reconversion économique mais aussi géographique, sociale et démographique.
Caroline Granier, docteure en Sciences économiques et cheffe de projet à la Fabrique de l’industrie.
Caroline Granier, docteure en Sciences économiques et cheffe de projet à la Fabrique de l’industrie. (Crédits : DR)

Le 9 novembre, le gouvernement a dévoilé les 183 nouveaux lauréats à la deuxième phase du programme « Territoires d'industrie » pour la période 2023-2027. Ces lauréats pourront bénéficier des principales mesures de soutien prévues dans la nouvelle offre de services du programme Territoires d'industrie : cofinancement d'un chef de projet, une enveloppe nationale prévue en 2024 de 100 millions d'euros pour des projets stratégiques s'inscrivant dans la transition écologique, moyens d'ingénierie, et accès aux expertises des partenaires du programme (Banque des Territoires, Bpifrance, ADEME, etc.). L'Occitanie compte 15 lauréats, parmi lesquels le bassin alésien.

Caroline Granier, docteure en Sciences économiques et cheffe de projet à la Fabrique de l'industrie, travaille sur les dynamiques territoriales, la gouvernance d'entreprise et l'industrie du futur. Elle fait partie de l'équipe coordinatrice des activités de l'observatoire des Territoires d'industrie. Et elle est l'auteur de l'ouvrage Le Bassin industriel d'Alès, une histoire de reconversions* (Editions Presses des Mines - septembre 2023).

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LA TRIBUNE - La Fabrique de l'industrie, qu'est-ce que c'est ?

Caroline GRANIER -  Créée en 2011 au moment où Louis Gallois remettait son rapport au gouvernement sur la compétitivité française, la Fabrique de l'industrie est un think tank consacré aux perspectives de l'industrie en France et à l'international. Sa mission est d'apporter un éclairage sur les questions industrielles - relations de l'industrie avec les territoires, attractivité des métiers industriels, opportunités ou défis liés à la mondialisation,... - auprès d'un large public : industriels, médias, décideurs politiques et société civile. Les thèmes de l'emploi, des compétences et de la transition énergétique sont également au cœur de nos recherches. La Fabrique réalise ainsi des études et les publie sous forme d'ouvrages, de notes, de documents de travail, accessibles gratuitement en ligne.

Dans quel contexte avez-vous lancé un programme de recherche sur le bassin d'alésien ?

En partenariat avec la Banque des Territoires, l'Institut de la recherche de la Caisse des dépôts, l'Agence nationale de la cohésion des territoires, les intercommunalités de France, Régions de France et la Fondation Mines Paris, nous travaillons depuis 2019 sur le programme Territoires d'industrie lancé par le gouvernement. Le bassin d'Alès étant l'un des 149 territoires labellisés Territoires d'industrie, nous avons démarré l'étude en novembre 2022.

Vous avez anglé l'étude sur les reconversions du bassin d'Alès, ancienne région minière. Quel a été le fil conducteur ?

Parler de reconversions du bassin alésien, c'est évoquer le temps long et les différentes étapes nécessaires à l'industrie pour se reconstruire. C'est aussi prendre en considération le caractère multidimensionnel de ces processus. En effet, se relever de la fermeture des mines ne signifie pas seulement modifier le paysage industriel : c'est accompagner la population dans cette transformation, changer l'identité du territoire, adapter l'environnement d'affaires dans son ensemble.

La fermeture des mines de charbon s'est étalée des années 1960 au début des années 2000. Quelles ont été les différentes étapes de cette désindustrialisation ?

Historiquement, l'ouest du bassin d'Alès était caractérisé par la présence de deux industries : la culture du ver à soie au début du XVIIIe siècle pour le textile, et la production de charbon au milieu du XIXe siècle. Face au déclin de la sériciculture, les villes minières ont récupéré de la main d'œuvre : à Alès, La Grand Combe, par exemple, a été créée autour de cette activité. Puis, malgré la nationalisation des compagnies minières, les puits ont progressivement ralenti leur activité. Une première reconversion s'est faite autour de filiales de grands groupes métallurgiques. Au tournant des années 1990, des fermetures de sites mobilisent de nouveaux acteurs. Le pôle mécanique Alès-Cevennes, constitué de six pistes d'essai automobile et d'une zone industrielle de 90 hectares, est implanté sur l'ancien site minier à Saint-Martin-de-Valgalgues. Une centaine d'entreprises y sont installées aujourd'hui. En parallèle, des éco-industries s'installent sur le site de Salindres - 40 entreprises - et une filière agroalimentaire se développe avec Senfas, Arcadie, etc. Les années 2000 sont marquées par un contexte de fusions-acquisitions, puis la crise de 2007 engendre une érosion de l'emploi avec la fermeture ou la délocalisation d'entreprises. On observe aujourd'hui un nouvel élan avec l'émergence de nouvelles industries ou filières.

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Qu'est-ce qui ressort de ces trois phases de reconversion (1970-1980, 1990-2000, 2010 à aujourd'hui) ?

Elles illustrent sans conteste la capacité des Alésiens à réinventer leur territoire industriel et à rebondir. D'abord grâce au programme national bâti autour de Charbonnages de France et de ses instruments comme le Fonds d'industrialisation du bassin alésien, puis autour des équipes d'Alès agglomération et de son agence de développement Alès Myriapolis. Le territoire est ainsi passé d'une tradition minière à la mécanique, en passant par l'agroalimentaire et la chimie. L'IMT Mines Alès est un acteur incontournable de cette deuxième reconversion. Aujourd'hui, d'autres dispositifs, tels Alès Audace, visent à détecter des projets porteurs d'un développement local, voire régional.

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Selon vous, quels sont les principaux obstacles rencontrés par le bassin alésien ?

Il y a d'abord l'enclavement géographique du territoire, avec une opposition entre l'ouest, montagneux, et l'est, la plaine. De nombreuses réflexions sont menées pour améliorer les axes routiers mais les projets mettent du temps à se réaliser (référence au contournement ouest de Nîmes, NDLR). Cette opposition est renforcée par le très faible développement des transports en commun, même si certaines lignes ferroviaires régionales devraient rouvrir, comme Alès-Saint-Ambroix via Salindres.

Outre son enclavement, le bassin alésien est marqué, comme le reste de l'Occitanie, par une précarité élevée avec une part de non diplômés et un taux de chômage importants. Mais on note une évolution favorable ces dernières années et un vrai travail sur l'attractivité des métiers, via notamment les organismes de formation.

Par ailleurs, l'appartenance d'Alès à  la région Occitanie n'apparaît pas encore comme un atout, même si des volontés de synergies entre les territoires émergent : synergie mécatronique entre Alès et Albi, campus des métiers dans le Gard Rhodanien,...

Outre l'IMT d'Alès, quels ont été les engagements en faveur de la formation ?

Avant 1938, les compagnies minières formaient leurs salariés. Puis Charbonnages de France a consacré, dès 1946, une part croissante de son budget à la formation professionnelle avec un vrai cursus qui s'est mis en place : CAP, école de maîtrise, écoles d'ingénieurs et de cadres. Dès les années 1970, l'AFPA a proposé des formations de compétences techniques et continue de le faire, notamment dans la métallurgie. Aujourd'hui demeurent des formations locales fournissant une main d'œuvre compétente en mécanique, chimie, chaudronnerie industrielle, électricité mais aussi en numérique et en process industriels.

Quels sont les enjeux fonciers ?

Le bassin alésien connaît de fortes disparités démographiques avec une croissance forte dans l'agglomération mais très faible dans l'ouest. En raison de cette zone montagneuse, la situation topographique est compliquée d'autant que s'ajoute la loi sur le zéro artificialisation nette (ZAN, ndlr) des sols. Il reste donc très peu de foncier disponible. Cela suppose de concilier accueil de nouveaux habitants et activités économiques. Les acteurs essaient de trouver des solutions pour libérer du foncier : cela passe par exemple par de la réhabilitation de friches, ou de la densification. Alès Myriapolis a d'ailleurs mis en place une bourse aux locaux, avec un recensement de bâtiments de plus de 1.000 m2 disponibles à la vente ou à la location.

Dans l'ouvrage, vous évoquez la stabilité politique comme force pour le bassin...

C'est en effet un élément intéressant car l'industrie s'inscrit dans le long terme. Elu maire en 1995, Max Roustan a défini avec son équipe un nouveau projet de territoire basé notamment sur la construction d'Alès comme pôle industriel du Languedoc-Roussillon. Cette équipe est toujours à la tête de la ville. Une telle stabilité politique est sans conteste une force pour mener les projets au bout.  Plus globalement, la ville d'Alès et Alès Agglomération se sont mobilisées pour mettre au point une politique de développement économique local dans laquelle les reconversions industrielles joueraient un rôle important. L'Agence Alès Myriapolis continue d'ailleurs d'être mobilisée autour de cette thématique.

Existe-t-il des similitudes de situations avec la Nouvelle-Aquitaine, l'Alsace ou l'Ile-de-France, trois régions étudiées dans de précédents ouvrages ?

Tous les territoires sont par essence spécifiques mais il est vrai qu'on retrouve quelques axes communs comme le fait d'avoir des acteurs - industriels, élus, organismes de formation - fédérés autour d'un objectif partagé. Il faut pour cela un minimum de ressources locales et une cohérence entre secteurs et compétences. Malgré la persistance de précarité dans le bassin alésien, les acteurs affichent leur volonté de poursuivre leurs efforts en faveur d'une reconversion réussie.

* Disponible gratuitement en ligne :  https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/le-bassin-industriel-dales-une-histoire-de-reconversions-2/.

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